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LA DÉCISION D'ENSILER L'HERBE DÉPEND DE SES OBJECTIFS

L'EXPLOITATION : À Pointel (Orne) - 1,5 UTH - 115 ha dont 40 ha de blé, 22 ha de colza, 3 ha d'orge et 20 ha de maïs - 10 ha de ray-grass d'Italie + trèfle incarnat en culture dérobée - 30 ha de prairies : 3 ha de ray-grass hybride + trèfle violet, 4 ha de ray-grass hybride, 3 ha de fétuque élevée, 3 ha de luzerne + dactyle (semis 2014), 7 ha de RGA pâturés et 10 ha de prairies permanentes - 420 000 l de quota pour 50 prim'holsteins - 9 784 kg de lait brut à 38,5 g/kg de TB et 31,6 g/kg de TP (c

Le printemps très doux a boosté les prairies précoces. Depuis la mi-avril, les chantiers d'ensilage vont bon train. Déclenchés à cette période, ils répondent au souhait d'un fourrage riche en azote. Réalisés en mai, c'est le rendement qui est plutôt privilégié.

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DÉVELOPPER L'AUTONOMIE PROTÉIQUE VIA L'ENSILAGE D'HERBE, c'est possible, à condition de faire la première coupe de l'espèce prairiale au stade adéquat. La valeur en matière azotée totale (MAT) en dépend. Or, plus le stade physiologique de la plante est avancé, plus la valeur en MAT décroît, la part de feuilles jeunes étant moins importante. « Entre le stade végétatif et l'épiaison de la graminée, elle diminue d'un tiers, indique Guilène Duboc, d'Orne Conseil Elevage. Parallèlement, le rendement en matière sèche augmente. Il faut donc bien définir les objectifs que l'on attribue à ce fourrage. Un fourrage riche en azote destiné à la ration hivernale des vaches laitières ? Ou du stock avec un ensilage davantage adapté aux génisses ? De l'une ou l'autre de ces stratégies dépend la date de récolte. » L'avoir clairement établie est d'autant plus important qu'en Normandie, comme dans d'autres régions, bénéficier de trois jours sans pluie pour le chantier est incertain. Ainsi, selon les données météo de 2006 à 2013, le département de l'Orne a 90 % de chance de disposer de cette fenêtre météo la première décade d'avril, 60 % durant la troisième d'avril et 60 à 80 % du 20 mai au 10 juin. « Cette dernière période est un compromis entre rendement et MAT pour les variétés ou espèces précoces. Cela concerne essentiellement des prairies temporaires. Elle convient à la "stratégie génisses". Cette période correspond aussi à l'ensilage au stade "avant début épiaison" des espèces intermédiaires à tardives. Il s'agit soit de prairies temporaires implantées dans des terres froides, soit de prairies permanentes. » Sur les autres décades d'avril et mai, l'éleveur a une chance sur deux, voire moins, de disposer de ces trois jours.

STRATÉGIE MAT : ENSILER AU STADE MONTAISON DE LA GRAMINÉE

- Graminées : pour Guilène Duboc, en ray grass d'Italie et ray-grass hybride (espèces précoces), il faut viser le stade montaison et non le stade début épiaison. « Le passage début épiaison à épiaison est rapide, avec une perte en MAT de 2 à 4 points », justifie-t-elle.

Pour les autres graminées, cibler le stade épi 10 cm au-dessus du plateau de tallage. On peut surveiller l'évolution de l'épi dans la gaine en prélevant au hasard une vingtaine de tiges les plus développées.

L'autre moyen pour déterminer ce stade de récolte est le recours aux sommes de températures. L'Inra de Toulouse a mis en évidence une relation entre le stade des graminées et la somme des températures journalières, comprises entre 0°C et 18°C à compter du 1er février. Selon les groupes d'espèces prairiales et leur précocité, cette somme de températures est plus ou moins élevée. « Ces références sont établies pour les prairies naturelles et temporaires », précise Thierry Jeulin, de la chambre d'agriculture de l'Orne. Ainsi, pour des prairies à base de ray-grass anglais, les références pour une fauche au stade début épiaison donnent 700°C-jours. « On peut retirer 100°C-jours avec un épi à 10 cm, soit 600°C-jours pour cette catégorie. Dans l'Orne, vu le printemps ensoleillé, ce niveau a été atteint cette année à la mi-avril, c'est-à-dire dix à quinze jours plus tôt que la moyenne 2000-2013. » Pour les prairies de dactyle, fétuque élevée, etc., on peut cibler 700°C-jours, toujours pour l'épi à 10 cm. Quant aux prairies naturelles et temporaires tardives en zones froids : 800 à 900°C- jours. Pour savoir si les niveaux de sommes de températures sont atteints, contacter la chambre d'agriculture ou le contrôle laitier de son département.

- Association graminée + légumineuse : les repères sur les graminées décrits ci-dessus sont applicables en mélange prairial. Le départ en végétation de la légumineuse s'effectue un peu plus tard que celui de la graminée. Sa teneur en azote évolue donc peu au moment de la première coupe.

- Légumineuse pure : il faut cibler le stade végétatif à 60 cm de haut. Il n'existe pas de références de sommes de températures liées au stade de la plante.

FAUCHER À 6 OU 7 CM : QUE DES AVANTAGES

Qu'elle soit récoltée jeune ou à un stade plus avancé, l'herbe est fauchée à une hauteur identique : 6 ou 7 cm. Ce n'est pas nouveau. Cette règle fait partie du B.A.-ba des chantiers d'ensilage. Ne pas oublier donc de vérifier le bon réglage de la barre de coupe à ce niveau avant de démarrer la fauche. À cette hauteur, l'herbe est déposée sur des chaumes, ce qui facilite son séchage et limite la remontée de l'humidité le lendemain matin. Elle limite aussi les souillures de terre (risque butyrique) et la présence de cailloux. Autre raison : le cycle suivant redémarre plus rapidement grâce au couvert végétal capable de capter la lumière et relancer la photosynthèse. De même, avec ce couvert végétal plus dense, les mauvaises herbes colonisent moins les vides laissés par la fauche. Mais surtout, à 7 cm, le fourrage gagne un point de MAT par rapport à une fauche à 3 cm. « C'est ce que montre une étude québécoise, indique Guilène Duboc. En fauchant plus ras, on prélève la base de la plante qui n'a plus accès à la lumière et devient sénescente, ce qui diminue l'azote disponible dans la plante. » À l'inverse, en fauchant moins ras, on perd un peu de rendement. Toujours d'après cette étude québécoise, la perte est de 1 t de MS/ha à 6 cm de hauteur de coupe comparée à 3 cm.

SÉCHAGE : ATTEINDRE 35 % DE MS LE PLUS RAPIDEMENT POSSIBLE

« La vitesse de séchage est également importante quelle que soit la maturité de la plante, souligne la conseillère en fourrages. Elle est un gage d'une meilleure digestibilité avec de meilleures valeurs alimentaires et d'une meilleure ingestibilité. » Tout repose sur la consommation plus ou moins importante de sucres par la plante. En d'autres termes, plus le séchage est rapide, moins les sucres sont consommés. « Tant que la plante fauchée n'a pas atteint 35 % de MS, elle brûle entre 0,2 et 3,5 g de sucres/kg de MS/heure. » L'humidité initiale de la plante, et les conditions météo plus ou moins ensoleillées ont évidemment une influence. Les méthodes de récolte aussi. En s'appuyant sur la physiologie de la plante, elles peuvent accroître la vitesse de séchage. « Puisque l'eau s'évacue par les stomates, il faut, d'une part, favoriser leur ouverture et, d'autre part, ne pas abîmer les tiges et les feuilles », rappelle Guilène Duboc. Dans le premier cas, cela signifie faucher en fin de matinée ou début d'après-midi, les stomates s'ouvrant à la lumière. Dans le second, il est recommandé d'éviter les faucheuses conditionneuses. Les tiges et les feuilles étant endommagées, l'eau contenue dans les tiges migre beaucoup moins bien dans les feuilles. L'évapotranspiration par les stomates s'effectue alors dans de mauvaises conditions.

ANDAIN LARGE : 80 % DE LA SURFACE DE LA FAUCHE

Si vous êtes équipé d'une faucheuse conditionneuse ou si vous faites appel à une ETA équipée de ce matériel, il est possible de la régler pour réduire son agressivité. S'il s'agit d'une faucheuse conditionneuse à doigts (appelée aussi fléaux), réduire la vitesse de rotation du rotor et l'agressivité des peignes. Avec les conditionneuses à rouleaux, on peut régler la pression d'écrasement des rouleaux. Dans les deux cas, ouvrir au maximum les déflecteurs pour faire des andains plus larges et ainsi accélérer la vitesse de séchage. Certaines sont équipées de l'option permettant d'éparpiller l'herbe derrière la coupe.

De son côté, la faucheuse rotative classique abîme beaucoup moins le fourrage. L'herbe à plat offre une bonne exposition au soleil, ce qui est favorable à un séchage rapide. « L'accès à la lumière fait respirer plus intensément les cellules de la plante, ce qui accélère sa déshydratation pour atteindre les 35 % de MS », explique-t-elle. Les andains larges aussi. « Si leur largeur constitue 80 % de la surface de la fauche, le séchage y est deux fois plus rapide qu'en andains traditionnels étroits. »

Peu utilisés, les agents conservateurs sécurisent pourtant les valeurs alimentaires de l'ensilage d'herbe. De leur teneur en matière sèche et du stade de récolte de la plante dépend le type de conservateur choisi. « Il n'y en a pas besoin lorsque le fourrage est récolté jeune, en conditions optimales, ayant permis d'atteindre une teneur en matière de sèche de 35 à 45 %. »

CONSERVATEUR : NE PAS FAIRE L'IMPASSE

Dans ce cas de figure, la teneur en sucres de la plante - que l'on a cherché à préserver via un séchage aussi court que possible - favorise l'abaissement rapide du pH du silo. Sous les 35 % de MS, on risque une fermentation butyrique. Si l'ensilage propose entre 25 et 35 % de MS, l'ajout de bactéries lactiques homofermentaires synthétisera l'acide lactique et permettra une acidification en moins de cinq jours. Ce conservateur est intéressant également lorsque l'éleveur a choisi le rendement plutôt que la valeur en azote (stratégie génisses du début de l'article). Moins riche en sucres, en plus des bactéries lactiques homofermentaires, on lui ajoute du sucre (mélasse de canne, par exemple). Ce conseil s'applique aussi aux légumineuses. Si le fourrage est trop sec, mieux vaut utiliser des bactéries lactiques hétérofermentaires qui acidifient lentement mais durablement le silo (au moins 30 jours pour le stabiliser). Cela limite les reprises de fermentation. Force est de constater que des progrès restent à faire dans ce domaine, les éleveurs bien souvent ne connaissant pas le type de conservateurs qu'ils appliquent. Bien évidemment, toutes ces mesures seront efficaces si, en amont, le silo est bien constitué : à savoir des longueurs de brins de 5 cm maximum pour faciliter le tassage et l'élimination de l'air dans le silo.

CLAIRE HUE ET JÉRÔME PEZON

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